Lagardère est un des leaders mondiaux des médias avec une présence incroyable et une belle verticale depuis la production de contenus livre et audiovisuel, en passant par les médias presse, télévision et radio, pour finir par la distribution physique et digitale, sans parler de la gestion de droits et d’évènements.
Mais sera-t-il encore là dans 20 ans?
Une analyse de la publication repères 2012 2013 pour les investisseurs m’a laissé perplexe et m’a fait réfléchir. Je vous propose ici une tentative de stratégie pour que Lagardère soit là dans 20 ans.
Partie 1 – L’analyse
Un leader mondial impressionnant…
Sa branche PUBLISHING est le 2eme groupe d’édition mondial, et le 1er distributeur de livres en France. Cinquante nuances de Grey, d’E L James chez JC Lattès s’est vendu à 900 000 exemplaires. Le nouveau livre de JK Rowling (auteur d’Harry Potter) est resté 10 semaines dans la liste des best sellers UK. Hachette UK s’est porté acquéreur du fonds d’Enid Blyton, l’auteure notamment du Club des Cinq et du Clan des Sept, 800 livres! En phase avec le numérique, Lagardère Publishing lance “une plate-forme numérique standardisée et centralisée pour stocker et distribuer les e-books aux magasins en ligne” répondant au petit nom de DAD (Digital Asset Distribution).
Ses objectifs pour 2013 sont d’ “Attirer les talents les plus réputés” et d’ “optimiser le retour sur investissement de chaque titre publié, sans renoncer à la diversité éditoriale et à la prise de risque”
Sa branche ACTIVE est le 1er groupe de production audiovisuelle en France, avec 203 millions de téléspectateurs cumulés, et 1er éditeur de presse magazine français en terme de diffusion 39 titres de presse et 25 millions de lecteurs, et aussi 1er offre de télévision jeunesse et famille avec les chaines Gulli, TiJi et Canal J. Lagardère peut être fier de ses 23 millions d’auditeurs par jour sur 21 radios dans 7 pays, ainsi que ses 6 millions de podcasts téléchargés d’Europe 1, ce qui la place… 1er. Avec l’acquisition de LeGuide.com et ses 28,3 millions de visiteurs uniques, la branche se place 1er groupe média en audience internet et mobile (25 sites) !
Il ne faut pas oublier la régie publicitaire, 3e de France en chiffre d’affaire avec des espaces commercialisés sur 6 médias et le lancement, avec d’autres, de “La Place Media, sa plate-forme d’ad exchange afin de commercialiser, aux enchères et en temps réel, leur audience digitale qualifiée”.
Ses objectifs pour 2013 sont de continuer à se transformer pour consolider sa position d’ “acteur incontournable des médias à l’heure du numérique” et “maintenir la progression de l’audience de ses titres de presse, radios, chaînes de télévision et sites Internet”.
Du coté de la distribution, sa branche SERVICES est “un leader mondial de la distribution de proximité et du travel retail”, avec, pour faire rapide, 450 points de vente de restauration dans 9 pays, une présence dans 130 aéroports internationaux, les gares SNCF et de nombreux hôpitaux, 1350 magasins Relay, 50 000 magasins de presse en Europe, sans oublier “Le kiosque numérique Relay.com” et ses 600 magazines.
Je finirais cette hagiographie par les 500 athlètes et personnalités représentées par la branche UNLIMITED (entre autres choses).
Impressionnant, non ?!
Un leader qui investit dans l’inconnu.
Ce que je lis dans cette suite de chiffres (et je n’ai pas tout cité), c’est un modèle de rentabilisation de l’audience. Il n’est question que de place de leader, de nombre d’auditeurs, de lecteurs, de téléspectateurs, et de la rentabilisation de ce nombre.
Mais l’audience c’est une masse anonyme. L’audience, c’est une masse d’inconnus. L’audience, c’est l’inconnu.
Lagardère ne connaît pas les 900 000 lecteurs de Cinquante nuances de Grey, ni ses 23 millions d’auditeurs radios, ni les personnes qui ont téléchargé 6 millions de podcasts.
Lagardère ne connaît pas tous les 25 millions de lecteurs de la presse magazine, ni tous les 203 millions de téléspectateurs de sa production audiovisuelle, ni tous les visiteurs uniques de LeGuide.com et encore moins les auditeurs qui ont téléchargés 6 millions de podcasts.
Lagardère ne sait pas pourquoi ses consommateurs viennent écouter, voir ou lire.
Lagardère ne sait pas pourquoi ses consommateurs partent et cessent d’écouter, voir ou lire.
Il ne peut compter que sur ces parts de marché, de numéro 1 ou 2 ou 3 pour rester un “acteur incontournable des médias à l’heure du numérique” et “maintenir la progression de l’audience de ses titres de presse, radios, chaînes de télévision et sites Internet” afin de rentabiliser cette audience avec sa performante régie publicitaire.
Lagardère participe à cette course à l’audience en construisant des programmes, en changeant des présentateurs, des formules et en pariant que ça peut marcher avec des sondages et des enquêtes sur les parts de CSP+ ou de ménagères qui ont toujours moins de 50 ans.
Mais au final il ne sait pas tellement pourquoi. Pourquoi ses inconnus viennent. Pourquoi ses inconnus partent.
L’audience c’est le nombre d’inconnus qui vous écoutent, vous regardent et vous lisent.
Lagardère parie sur des inconnus.
En introduction, Lagardère indique que nous sommes “dans une conjoncture incertaine, marquée par un manque de visibilité à court terme sur [ses] marchés” et en même temps, il demande à ses actionnaires d’investir dans l’inconnu.
Des questions sans réponses.
La période actuelle est franchement caractérisé par son incertitude. Il y a des choses assez prévisibles pourtant. Par exemple, le papier va disparaitre. Problème pour la branche Publishing. Où iront les lecteurs papiers ?
Également, je peux avancer sans trop de risque que la distribution des journaux papiers va diminuer fortement, voir disparaitre. Problème pour la branche Active et Services. Pourquoi les clients de ses magasins aujourd’hui viendraient demain ?
L’audience se fragmente sans cesse et les revenus de la publicité baissent. Combien faudra-t-il racheter de médias et d’audience pour compenser les baisses du CPM?
Révéler l’inconnu.
Ce que veulent les investisseurs, c’est être rassurés, voir le plus loin possible, voir du tangible, et savoir que Lagardère sera encore là dans 20 ans. Les investisseurs veulent investir dans le connu.
Alors, qu’avec le digital, tout le monde peut être un créateur, une boutique, un média, donc un concurrent qui peut vous balayer sans prévenir, que le changement est permanent et de plus en plus rapide, Lagardère doit investir dans l’une des rares constantes, le consommateur.
Pour investir dans un consommateur qu’il ne connait pas, Lagardère doit le révéler. Le faire passer du brouillard à la lumière, d’une quantité à une qualité, d’une masse sans passé ni avenir à un individu avec un nom, une adresse, un téléphone, un comportement, des envies, des conversations, des amis, des convictions, des préférences, un budget, des valeurs, ….
Lagardère doit passer d’une audience d’inconnus à des consommateurs humains.
Lagardère doit passer d’une stratégie de monétisation d’inconnus à l’investissement dans la valeur inexploitée de ses consommateurs.
Partie 2 – Une stratégie
(Pour être encore là dans 20 ans, Lagardère doit investir dans ses consommateurs.)
Et vous, partagez-vous cette analyse ? Que voyez-vous dans ce document de référence ?
No Responses to “Pour être encore là dans 20 ans, Lagardère ne doit pas parier sur l’inconnu.”