Vous êtes une entreprise avec des clients et un produit. Le monde change constamment, incertain, et vous ne savez plus où vous en êtes. Vous décidez de faire une petite analyse stratégique de vos concurrents avec Porter. Etes-vous bien sûr de trouver les bons, vos véritables concurrents, ceux que voit celui qui consomme votre produit, votre client ?
>Une analyse standard des 5 forces de Porter
Pour un rappel de cette méthode d’analyse, je me permets de vous renvoyer à cette page de Wikipedia ;-)
Comme nous nous concentrons ici sur les concurrents, parmi les 5 forces, nous prendrons uniquement l’intensité de la rivalité entre les concurrents (C), la menace d’entrants potentiels sur le marché (NE) et enfin la menace des produits ou services de substitution (PS).
Commençons, vos concurrents, facile, vous les connaissez tous.
Les nouveaux entrants… ils sont nouveaux, c’est sûr, vous en avez entendu parler. Mais sont-ils vraiment sur votre marché? Dur.
Enfin les produits de substitution. Facile aussi, c’est tous ceux qu’utilisent vos clients… mais ils utilisent quoi vos clients au fait? Et puis en réfléchissant, vos clients, ils utilisent vos produits. Alors ils ne substituent rien! En fait ceux qui ont substitué, c’est ceux qui n’utilisent plus vos produits… des anciens clients. Comme vous ne les connaissez pas très bien, vous ne savez pas pourquoi ils sont partis…
Illustrons tout cela avec un exemple de la télévision.
Vous êtes Bouygues et vous avez une chaîne de télévision généraliste et gratuite. Vous allez donc faire une analyse sur le marché de la télévision gratuite.
Parmi vos concurrents majeurs, nous avons France 2 et M6. Les rôles et les parts de marché sont clairs. Vous êtes le leader, assez attaqué dernièrement.
Pour les nouveaux entrants, nous avons simplement la menace des nouvelles chaines gratuites de la TNT, par exemple, TMC, Gulli et M6ter. Il y en a de plus en plus. Gros danger futur. Leur audience est faible, mais leur nombre les rend dangereuses.
Enfin les produits de substitution. Si vous faites simple, vous trouvez les historiques que sont les autres médias, la radio, la presse, la vidéo, les dvd. Si vous poussez un peu plus et que vous vous intéressez à l’air du temps, vous avez l’ordinateur, les jeux vidéos, et internet. La télévision de rattrapage, YouTube? Oups. Bien sûr!
OK c’est un peu caricatural, mais, ça donnerait à peu près cela ?
A partir de cela, vous pouvez déduire que la TNT vous prend des parts de marché et donc du revenu publicitaire. Pour l’instant c’est faible, mais c’est à suivre de près. Une solution que vous êtes en train de mettre en place est de racheter certaines de ces nouvelles chaines.
Pour les produits de substitution, le cinéma et le dvd, vous connaissez. D’ailleurs, vous financez des films du cinéma qui reviendront chez vous, après des ventes DVD que vous espérez prospères. YouTube prend une place grandissante, mais sur votre cible principale famille, vous jugez le risque faible.
Parfait, analyse rapide et propre. Vous vous félicitez d’être le leader, d’avoir identifié les quelques menaces, réelles, mais encore faibles aujourd’hui. Vous allez engager des actions pour l’achat d’une chaine TNT, et vous prévoyez de réduire un peu les budgets en prévision des baisses de recettes publicitaires.
>Une analyse par l’un de vos clients
Vous avez remarqué que j’ai laissé un petit bonhomme en dessous des 3 forces étudiées. C’est exprès. C’est pour illustrer la vue de votre client :-) .
Je vous propose de faire maintenant une analyse de ces 3 forces, mais pas depuis votre point de vue comme nous venons de le faire, mais selon sa vue à lui.
Commençons par dire qu’il ne voit pas du tout comme les choses comme vous.
Il n’a aucune notion de vos menaces, de vos angoisses d’intensité concurrentielle, des nouveaux entrants ou des produits de substitution. Ils voient des produits et des services. Des anciens et des nouveaux. Certains répondent à ses besoins, d’autres non. Et surtout il voit ce que ça lui apporte.
Il va les analyser selon ses 3 ressources limités, qu’il en ait parfaitement conscience ou pas. Son budget (€), son temps et son attention. Son budget n’est pas extensible, même s’il le gonfle artificiellement avec du crédit. Son temps ne peut dépasser 24h, crédit ou pas. Et son attention est de plus en plus limitée, même si l’on prétend que les nouvelles générations et les femmes sont multi tâches.
Elles vont être son filtre d’analyse des produits disponibles.
Si je reprends l’exemple de TF1, je pourrais obtenir un mélange de votre analyse.
Mais ce serait se tromper une seconde fois. Votre client, que nous pourrons appeler Marge, ne voit pas du tout les choses comme vous. Les produits en concurrence avec le votre, TF1, ne sont pas ceux que vous pensez. Marge ne connaît pas du tout Youtube, Gulli et M6ter. Elle n’aime pas les DVD et ne regarde jamais M6.
En fait ce n’est pas encore exactement cela. Si l’on demande précisément à Marge quels sont les produits en concurrence avec le votre, elle ajoutera le vélo et les livres.
Vous notez une certaine différence entre votre analyse et celle de Marge. Vous découvrez que vos concurrents ne sont pas obligatoirement ceux auxquels vous aviez pensé. Quand Marge doit faire des choix, elle peut décider de regarder TF1 ou de faire du… vélo.
Hé revenez, ne partez pas tout de suite étudier le marché du vélo. Je vais vous faire une confidence. Vous avez d’autres clients! Et ils ne pensent pas obligatoirement comme Marge. C’était juste un exemple ;-)
>Une analyse encore plus poussée
Maintenant que vous connaissez un peu mieux Marge, pourquoi ne pas en profiter pour préciser ce qu’elle fait avec ses 3 ressources.
Que choisit-elle quand elle a peu de temps? Elle répond le vélo ou France 2.
Quand elle a des problèmes de budget. Que choisit-elle? Sans hésiter, elle achète un vélo mais pas de téléviseur, ni de livres, et surtout pas de cinéma.
Et enfin avec quels produits a-t-elle le plus d’attention? Nous pourrions aussi dire avec quels produits ne fait-elle pas autre chose? Elle hésite et répond le vélo (encore), le cinéma et les livres. Quand elle regarde la télé, elle fait autre chose et avoue ne pas être totalement concentrée sur ce qui se passe à l’écran, surtout pendant… les pubs.
>Le marché de vos clients
Comme il est souvent précisé lorsque l’on fait une analyse de ce type, le plus dur est de bien définir le marché sur lequel on travaille. Ce que je vous propose ici, c’est de travailler celui de votre client.
Nous avons vu que Marge n’a pas la même vision que vous de vos concurrents. Sur son marché à elle, vous n’avez pas besoin de vous battre contre M6. Il n’existe pas. Dans son marché à elle, cette chaine n’existe pas. Par contre le vélo est votre concurrent majeur sur ses 3 ressources, budget, temps et attention.
Maintenant que vous avez ces informations, vous pouvez engager les actions nécessaires pour qu’elle choisisse de regarder TF1 au lieu de faire du vélo quand elle a peu de temps (mais qu’est ce que je raconte! Continue de faire du vélo Marge.), ou pour qu’elle soit bien concentrée pendant les émissions et les publicités.
Vous avez vu Marge. Est-ce que vous seriez intéressé d’avoir la même chose pour tous vos clients? Oui ! Vous en rêvez? Alors faites-le :-)
Faites le Porter de vos consommateurs !
Mon propos est de souligner que si nous voulons connaître les véritables concurrents d’un produit, le meilleur moyen c’est de demander à ceux qui font le choix de prendre de leur temps, de l’attention et de leur argent pour ce produit. Ce qui veut dire ne pas en prendre pour d’autres.
Réponses anticipées à certaines remarques
Certains pourront me faire remarquer que l’on peut avoir cela avec des études consommateurs sur un échantillon suffisamment représentatif. Oui, mais non. C’est représentatif, mais ce ne sont pas vos clients. Vos clients sont ceux qui consomment votre produit. Vos clients sont ceux que vous avez durement acquis. Ils ne sont pas un échantillon représentatif.
Les mêmes alors pourront me souligner que choisir TF1, la chaîne la plus généraliste, n’est pas un bon exemple parce que ses clients sont les plus proches de la moyenne. C’est vrai. Mais j’aimais bien cet exemple parce qu’il parle à beaucoup de monde. Ce serait peut-être plus évident avec une chaîne comme Arte dont les clients ne sont pas représentatifs des 16 millions de foyers branchés à la TNT. C’est vrai… selon les études.
Enfin, oui, je n’ai pas parlé des autres clients de TF1, les annonceurs dans le marché à deux face de la télévision spectateurs/publicité, ni de la détection des concurrents invisibles que ne peuvent pas voir nos clients, et que l’on considère aujourd’hui comme les plus dangereux. Sur ce dernier point, je pense y revenir prochainement.
Ce sont mes réflexions et analyses. Elles sont là, sur ce blog, pour être discutées, soutenues, critiquées, ou améliorées. N’hésitez pas à les commenter.