Vous êtes une grande marque. Une vraie marque. Les gens sont fans parce qu’ils aiment ce qu’ils peuvent voir en vous. Vous êtes ce que les gens projettent sur votre marque. Votre marque est un symbole. Les gens s’en emparent et ce symbole grandit.
Ce que vous proposez, un service, un objet, un contenu, peu importe, est un support extérieur pour leur projection d’amour. Fétichisme.
Vous avez un business model. C’est bien. Vous pouvez décider de faire du freemium, du gratuit ou du multi-sided, aller vers l’abonnement ou la vente à l’acte. Peu importe. Cela ne changera rien de fondamental pour vos fans. C’est un détail pour eux. Ils sont fans. Ils ne sont pas obligatoirement acheteurs réguliers, et peut-être n’ont-ils rien acheté depuis longtemps, mais ils entretiennent votre image. Ils la propagent, l’entretiennent.
Ils écrivent votre histoire en racontant autour d’eux leur histoire d’amour avec vous. Et dans ces histoires, certains qui les écoutent sont touchés par leur conviction, leur amour. Ils se retrouvent dans ces histoires. Elles raisonnent en eux. Ce sont leurs histoires. Et votre marque, vos produits, deviennent aussi pour eux des symboles. Votre marque devient un de leur symbole. Vous avez des fans en plus. Ils achèteront. Dans votre cas, c’est votre marque qui vous porte loin et non votre business model.
Vous travaillez cette ferveur. Vous la soutenez et vous entretenez cette image, ce symbole. Vous sacralisez votre marque. Vous la rendez intouchable. Elle est au dessus, au-delà du réel. Un mythe.
Votre marque est figée. Installée dans l’infini. Pour toujours. A coté, le monde réel bouge et évolue. Lui. Il n’est pas figé. Jamais. Votre marque est bloquée. Au même endroit. Avec la même forme. Mythée. Les nouveaux acheteurs n’ont plus les mêmes histoires. Ils ont d’autres symboles. Ils ont besoin d’autres marques pour projeter leurs nouvelles envies, leurs nouvelles croyances, le nouveau monde qui les entourent.
Est-ce que vous allez vous adapter? Est-ce que votre marque va mourir, idolatrée en madeleine par quelques fans centenaires. Ils vont mourir. Disparaitre. Et votre marque avec.
C’est la question que s’est posée Barbie. C’est la question que se pose Barbie aujourd’hui.
Née en 1959, elle a révolutionnée le monde des poupées avec son corps adulte et renvoyée au placard les poupées joufflues. Elle est devenue le symbole de la femme parfaite, libérée, qui peut tout faire. Elle a reçue tellement de rêves. Elle a été personnalisée jour après jour par des petites filles en fleurs.
Elle a participé à sa manière au mouvement de libération de la femme. Elle a été critiquée par ce mouvement parce qu’elle était trop parfaite, avec des mensurations impossibles, au-delà de la réalité. En 1997, Mattel a décidé de dépoussiérer le mythe et l’adapter au réel. Barbie a changé de mensurations. Pour que les petites filles puissent continuer à projeter toutes leurs histoires sur ce symbole, redevenu accessible. Un peu moins un fantasme. Un peu plus un rêve.
Aujourd’hui, de nouveau, en 2012, Barbie doit se demander si, en tant que marque, elle représente toujours quelque chose pour toutes les petites filles. Si elle est pour certaines un symbole inaccessible, lassant. Ou si elle est un symbole du réel, capable de lâcher Ken pour un peu de compassion et d’empathie.
Mattel doit se demander aujourd’hui si Barbie peut avoir le cancer.
Des petites filles ont le cancer. Les mamans de petites filles ont le cancer. Elles perdent leur cheveux. Leurs enfants ne peuvent plus se reconnaitre ou reconnaitre leur mère dans la longue chevelure blonde de leur poupée préférée. Alors deux mamans font cette demande à Mattel (cf billet de Stéphanie Moran “Barbie: quand les internautes s’emparent de la marque“) :
“En 2012, une campagne a été lancée sur Internet via Facebook par deux américaines atteintes du cancer. Elles militent auprès de Mattel pour la création d’une nouvelle poupée Barbie «chauve mais belle « (BBB : Beautiful and Bald Barbie) pour les enfants dont les mères sont atteintes d’un cancer ou des enfants eux mêmes atteints de la maladie afin de sublimer la femme même dans une épreuve aussi terrible. Les militantes proposent également à la marque de reverser une partie des dividendes pour la recherche médicale contre le cancer. Leur but est de renforcer l’estime de soi des fillettes et d’inciter la marque à produire et commercialiser cette nouvelle Barbie”
Le cancer n’existait pas en 59. Des personnes avaient le cancer. Mais dans l’histoire collective de 59, il n’y avait pas de cancer. En 2012, le monde a changé. Les symboles ont changé. Le cancer est une histoire que l’on raconte. Il fait partie de la vie.
Est-ce que la marque Barbie, le symbole Barbie va s’adapter? Est-ce que les 150 000 fans sur Facebook sont une force suffisante? Ou est-ce que Mattel va garder cette marque confite en madeleine mythique?
Est-ce que votre marque doit s’adapter? Est-ce que votre marque doit rester en lien et renouveler ses fans, ceux qui construisent et portent son histoire? Est-ce qu’elle doit les écouter et leur répondre?