Je viens de lire un post de Philippe Bailly, sur la restructuration de la presse. Si j’ai bien saisi son propos, il est favorable à la création de champions nationaux, une solution possible pour assurer la survie de la presse française, parce que “la disproportion grandit par rapport à des leaders internationaux auxquels les réseaux numériques – Internet en tête – ouvrent chaque jour un peu plus l’accès au marché national. “
Je ressens en lisant cet article tout le paradoxe de l’internet qui apporte la réalité d’un lien direct entre le journaliste et le lecteur, et toutes les promesses et les possibilités qui en découlent, dont la pluralité.
Mais la “vraie” vie est différente. Les journaux qui ont fait le pari du tout internet comme rue89, bakchich ou mediapart ont du mal à boucler les fins de mois. Ce qu’exprime Philippe Bailly est bien ce qui se passe un peu plus tous les jours. Si n’importe quel journaliste peut mettre à disposition ce qu’il a écrit, et si tout lecteur peut le lire, il est difficile d’en vivre. Du fait que l’information est déjà gratuite, et du fait qu’il faut le trouver ce journaliste. Si tout est lisible, tout n’est pas lu. La preuve c’est que même les grands journaux ont du mal aujourd’hui.
Alors la création de champions nationaux apparait comme une solution simple. Elle donne une assise financière qui permet d’avoir les moyens de faire le métier de journalistes, ainsi que la communication et la promotion nécessaire. Par contre, il s’agit de savoir de quoi est constituée cette assise financière. Le monde vient de perdre sa légendaire indépendance. Il ne reste selon moi que le Canard Enchainé qui ne dépende que de ses lecteurs. Il serait urgent de se demander pourquoi des gens continuent de l’acheter et pourquoi ce journal continue à vivre alors que les autres se meurent.
Je ne connais certainement pas bien le métier de la presse, mais je vois aujourd’hui qu’elle n’arrive pas à s’adapter au nouveau monde numérique et à ses paradigmes. ”La mutation numérique, décidément, invite à l’actualisation de nos schémas de pensée” nous dit Philippe Bailly. Je suis bien d’accord, c’est d’ailleurs ce qui rend cette époque si excitante. Je souhaiterais modestement apporter mon point de vue, en quelques éléments, point de départ pour une discussion.
Je pense que les journaux doivent se placer violemment dans une position qui prend en compte les nouvelles règles et non celles d’une époque dont nous vivons la fin.
Le principe fondamental, selon moi, est le choix du lecteur.
Aujourd’hui la masse d’information à disposition de chacun n’est plus appréhendable. Je ne reviens pas sur ce qui se passait avant, parce que cela n’apporte pas grand chose. A l’opposé de l’information, le temps d’un lecteur est limité. Chaque lecteur qui lit un article doit prendre sur son temps et donc faire un choix. Le choix de son temps. L’article et le journal sont alors en concurrence avec d’autres articles et journaux, sans même parler de toutes les autres activités du lecteur, quelles qu’elles soient. Même si on arrive à l’étendre, ce temps sera toujours infiniment plus petit que l’infinité de l’information. C’est donc lui qu’il faut travailler. Une partie de la solution est dans l’occupation de cet espace fini. Pourquoi ce journal et pas un autre, pourquoi cet article et pas un autre. Pourquoi cette vidéo et pas un autre. Avec autant de réponse que de lecteurs. Les journaux devraient s’intéresser à ce qui motive ces choix, autrement dit comment une personne choisit de lire un journal, pourquoi à ce moment, pourquoi à cet endroit,… Il y a constamment des études pour savoir ce que lisent les gens, mais, sauf erreur de ma part, je ne crois pas qu’il y a eu d’analyse sur le cheminement du choix. Il s’agit ici pour un journal de trouver sa place et ses lecteurs. Si certains n’aiment pas les notions et le vocabulaire du marketing, il me semble clair qu’un journaliste sans lecteur ne peut pas vivre de son métier.
Le deuxième aspect est sur la marque.
Personne n’achètera quelque chose qu’il peut trouver facilement gratuitement. Il s’agit donc d’apporter un contenu et un service différentiant du gratuit qui apporte un vrai plus au lecteur. Je ne saurais dire lequel mais simplement qu’il doit être fort, quelque chose qui vaille le prix. Une solution peut être la création d’une vraie marque. C’est la voie qu’a pris Libération. Ce sont des partis pris. Celui qui sera généraliste ne sera pas. Le général est partout et il est gratuit. La marque est le signe de ralliement, l’expression d’un parti pris, d’un choix, d’une position, d’un reflet dans lequel les lecteurs peuvent se voir et se reconnaitre.
Un plus différentiant est également la relation avec ces lecteurs. Travailler cette relation est indispensable. Les lecteurs sont une source majeure de revenus. Elle doit être stable. La création d’une communauté, avec tout ce qui est rattaché aujourd’hui à ce mot, en terme d’échange, de participation, de co-création, et qui crée le sentiment d’appartenance est une bonne voie à prendre. Il y a là une source de fidélité, qui générera les abonnements et le bouche à oreille, et par conséquent la prescription d’achat.
Le troisième point est sur la notion de la spécialisation et d’ouverture.
J’entends par là la spécialisation géographique et sur le contenu. Géographique parce qu’un journal français aura du mal à bien parler du Brésil. Il apportera son point de vue de français, mais ce sera très différent du journaliste brésilien. Sur le contenu, parce qu’un journal national parlera moins bien de ski ou de judo que les journaux qui ne parlent que de cela. C’est bien pour cela qu’on interviewe des spécialistes.
Les leaders internationaux cités plus haut sont lus par beaucoup de gens dans le monde, surtout parce qu’ils sont écrits en anglais, standard international. Ils sont donc une concurrence dans le temps fini du lecteur. C’est un fait. Il est suicidaire de le refuser. Alors comme a dit Shakespeare, embrassons-le.
Une solution alternative à des champions nationaux, ce sont les partenariats nationaux et internationaux. Il faut que les journaux s’ouvrent au monde puisqu’il les envahit. Ils verront alors qu’ils ne sont pas seuls et qu’ailleurs dans d’autre pays, dans d’autres régions, d’autres, comme eux, souffrent, mais ont aussi beaucoup de choses à apporter. C’est le coté positif de la mondialisation et du numérique. Cette ouverture conduit non pas à des conglomérats, mais à des partenariats. L’important étant que chacun garde sa marque, son âme et s’enrichissent. Un journal spécialisé dans le judo peut avoir un intérêt, en premier financier et également de notoriété, à publier certains de ces articles… dans le Figaro. De même un journal brésilien peut faire la même chose et inversement. Cela existe depuis longtemps. Courrier international. Le Monde avec El Pais. Un journal régional pourrait traiter les informations de sa région lui-même et donner certains de ces articles au Figaro, en échange d’articles nationaux pour compléter. Mais le lecteur aura déjà lu le Figaro pour les nouvelles nationales! Oui et non. Non parce que je rappelle que ce lecteur essaie d’optimiser son temps limité, alors s’il a un résumé du Figaro dans son journal local, il peut trouver cela mieux. Et pour le Figaro, c’est un lecteur en plus.
La pluralité est difficile à tenir… seul. La force peut se trouver en dehors du regroupement et de la concentration. Elle peut se situer dans l’échange et le partenariat afin d’arriver le mieux possible et de manière varier dans l’attention du lecteur. On touche ici aux différentes formes de revenus d’un journaliste et d’un journal.
Ce sont quelques pistes et non des vérités. Il faudrait encore parler de la convergence des contenus et des supports. Mais déjà ces exemples prennent en compte les nouveaux aspects du numérique global, et plutôt que de les refuser, les acceptent et cherchent comment les utiliser comme des forces.
3 Responses to “Quelques pistes pour la presse dans le nouveau monde numérique”
24/07/2010
Vladimir VodarevskiLes journaux ont besoin d’une assise. Est-ce que la création de champions nationaux permettra cette assise? Il me semble qu’il y a déjà une concentration dans la presse en France. Faut-il associer d’autres médias? Peut-être. Mais l’expérience de la Tribune a tourné court pour Alain Weil.
Au delà des moyens, il faut que les journaux proposent quelque chose d’intéressant. Des reportages, des analyses. Et pas simplement une dépêche d’agence, ou une info d’un organisme,public comme l’INSEE ou l’OCDE. Je me suis amusé un certain temps à faire un “eco-hebdo”, car j’avais remarqué que beaucoup d’infos étaient disponible gratuitement et libre de droits. J’ai arrêté faute de temps, mais l’expérience a été enrichissante.
Votre article est très intéressant. Bravo
26/07/2010
Frédéric AbellaMerci pour votre commentaire.
Il y a comme vous dites le contenu. Et il y également la manière de faire connaitre et de faire vivre ce contenu. A ce propos, lire cet article sur le Huffington Post par Owni . Ils expliquent la manière dont ce journal gagne de l’argent. Très instructif.
13/07/2010
Les tweets qui mentionnent Quelques pistes pour la presse dans le nouveau monde numérique | Du contenu au client -- Topsy.com[...] Ce billet était mentionné sur Twitter par frederic abella, frederic abella. frederic abella a dit: Quelques pistes pour la presse dans le nouveau monde numérique > mon dernier post http://bit.ly/a9Hk4I [...]